mardi 9 juillet 2013

Au Mali : ne pas rajouter une crise à la crise



La fenêtre pour décider d’un report du premier tour de l’élection présidentielle prévu le 28 juillet est en train de se fermer. Le Conseil constitutionnel a validé 28 candidatures et la campagne électorale a commencé ce dimanche 7 juillet. Le ministre de l’Administration territoriale reste convaincu que « toutes les conditions pour le déroulement des élections dans la transparence et la crédibilité » sont réunies. Il a récemment rappelé que son département était le seul chargé d’organiser l’élection, un message clair adressé à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), doté d’un mandat de supervision, qui n’a cessé d’évoquer les nombreuses « imperfections » dans la préparation technique du scrutin. 

Un report de courte durée demeure le choix le plus raisonnable, mais il semble de moins en moins probable. Si le Mali vote le 28 juillet, l’élection risque d’être marquée par de telles insuffisances techniques et un taux de participation si faible qu’elle pourrait bien ne pas donner au président élu le degré de légitimité nécessaire pour engager un pays déboussolé et très affaibli sur la voie de la reconstruction. Si ce mauvais choix est maintenu, il faudra au moins prendre toutes les mesures sécuritaires, logistiques et politiques pour limiter la gravité d’une éventuelle crise postélectorale. 

Depuis que des centaines de personnes sont mortes dans des violences postélectorales en Côte d’Ivoire et ailleurs sur le continent, beaucoup semblent penser qu’une élection présidentielle africaine est réussie dès lors qu’elle ne se prolonge pas en sanglantes confrontations. Il est vrai que le Mali ne court pas ce risque et cela est heureux. La détermination à maintenir la date du 28 juillet pouvait même se justifier par de bonnes raisons jusqu’à ces dernières semaines : elle a servi à mettre la pression nécessaire pour la conclusion d’un accord de paix préliminaire entre le gouvernement de transition et les groupes armés touareg du Nord et pour une accélération des préparatifs électoraux par des autorités de transition. 

Mais aujourd’hui, les mauvaises raisons ont remplacé les bonnes : il faut voter le 28 juillet, coûte que coûte, même si un grand nombre d’électeurs ne pourront recevoir leurs cartes d’identification nationale à temps, même si l’administration n’est pas déployée partout dans le Nord… parce que le gouvernement malien s’est engagé sur cette date, parce qu’il faut mettre un terme au plus vite à la transition, parce qu’un président même mal élu sera plus légitime qu’un président intérimaire, parce qu’un report de quelques semaines n’améliorera pas significativement la qualité du processus électoral, parce que les partenaires du Mali veulent des élections avant de débloquer les généreuses aides promises, parce que le président français a dit entre-temps qu’il serait intraitable sur la date de l’élection au Mali…

Derrière ces arguments plus ou moins assumés, il y a un scepticisme quant à l’utilité même de l’exercice électoral si ce n’est qu’il permet de cocher une case indispensable pour pouvoir passer ensuite aux choses sérieuses. C’est comme si chacun avait fini par se convaincre que, bien organisé, populaire, imparfait, très imparfait ou calamiteux, ce scrutin présidentiel ne fera pas une grande différence pour l’avenir du Mali. Ce n’est pas totalement faux. Même une élection crédible et techniquement réussie ne suffirait pas à rebâtir la démocratie, introduire de l’éthique dans la gestion des affaires publiques, reconstruire l’appareil sécuritaire et réconcilier la société malienne avec elle-même. Mais se résigner si facilement à une élection présidentielle « imparfaite », qui pourrait mobiliser encore beaucoup moins que les 36 % des électeurs inscrits du scrutin présidentiel de 2007, est une curieuse manière d’encourager la démocratie au Mali.

Si effectivement, comme tout le laisse penser, les Maliens votent dans trois semaines, il faudra tout faire pour empêcher une élection imparfaite de se muer en élection catastrophique. Les autorités maliennes, la mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) effective seulement depuis le 1er juillet, et les forces françaises de l’opération Serval doivent rester vigilantes face au risque d’attentats terroristes pendant la campagne électorale et le jour du vote. Il faut aussi profiter des trois semaines qui restent pour distribuer un maximum de cartes, communiquer aux électeurs l’emplacement des bureaux de vote pour limiter le désordre le jour du vote et informer largement les candidats et les Maliens sur les garanties de transparence des opérations postélectorales immédiates (de la centralisation des résultats à la proclamation des résultats provisoires). La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine et les Nations unies doivent travailler de concert avec les autorités maliennes à la sécurisation de l’ensemble du processus électoral.

Enfin, il faut impérativement obtenir de tous les candidats à l’élection présidentielle, en plus du code de bonne conduite qu’ils ont déjà signé, un engagement solennel à respecter les résultats de l’élection ou à les contester exclusivement par les voies légales et à reconnaître le verdict définitif de la Cour constitutionnelle. Les candidats doivent publiquement confirmer leur acceptation des imperfections connues et déjà prévisibles du processus électoral et s’engager à ne pas en faire des arguments de contestations lorsque 26 ou 27 d’entre eux auront été éliminés de la course à l’issue du premier tour.   
Louise Arbour et Gilles Yabi, tribune publiée dans le Figaro du 9 juillet

Louise Arbour est la présidente de l’organisation International Crisis Group et Gilles Yabi le directeur du Projet Afrique de l’Ouest. 

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