lundi 29 avril 2013

Sauvé du crash, le Mali n'est pas encore tiré d'affaire

Votée le 25 avril, la résolution 2100 du Conseil de sécurité a autorisé le déploiement d’une mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma) qui prendra le relais de l’actuelle Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (Misma). La mutation doit intervenir en juillet, « si les conditions de sécurité le permettent ». Les Casques bleus, soldats et policiers, devraient être 12 600, et ils devront pouvoir compter, en cas de « danger grave et imminent », sur le soutien des forces françaises, 2 000 en juillet puis un millier en fin d’année, selon Paris.

Les Maliens ne débordent pas d’enthousiasme à l’idée de l’installation à durée indéterminée d’une grosse machine onusienne civile et militaire, mais ils ont compris qu’ils n’ont pas le choix. Ils savent que l’inconséquence et la démission de leurs élites dirigeantes politiques et militaires pendant au moins une décennie ont affaibli l’État à un point tel qu’il avait déjà cessé d’exercer sa souveraineté sur une partie de son territoire. C’est bien à la reconstruction de la légitimité de cet État aux yeux de toutes les composantes de la nation malienne, et de sa capacité à assurer la sécurité et les services sociaux de base sur l’ensemble du territoire qu’il faut s’atteler. L’intervention militaire a réglé la partie de l’immense problème que quelques milliers de soldats, des avions de chasse, des technologies de pointe, peuvent régler. Ce qu’il reste à faire est dantesque et exige une stratégie politique globale pilotée par les Maliens et soutenue par  la composante civile de la Minusma et l’ensemble de la communauté internationale.  


Les missions de paix de l’ONU n’ont pas une réputation extraordinaire en matière de rétablissement durable de la sécurité et de restauration d’un État fonctionnel. Mais il n’y a pas d’alternative lorsque le pays n’a plus de ressort politique interne et que les capacités de ses voisins et de l’organisation régionale compétente laissent également à désirer. À défaut de pouvoir faire plus qu’assurer une présence sécuritaire significative dans les villes et bourgades du nord du Mali et de patrouiller sur les axes les plus fréquentés par les populations, les soldats de la Misma, une fois transformés en Casques bleus, auront au moins des moyens de communication appropriés, des véhicules, des hélicoptères, et toute la logistique exigée par le terrain.


Incertitude


Cela restera cependant une mission particulièrement difficile tant est grande l’incertitude sur les capacités résiduelles des combattants islamistes chassés des villes du nord du Mali, leur localisation actuelle et leur stratégie future. Même si les forces onusiennes ne sont pas mandatées pour mener des opérations contre-terroristes, elles seront considérées comme des cibles au même titre que les forces maliennes et françaises. La poursuite des opérations de sécurisation jusqu’en juillet devrait continuer à réduire le risque d’attaques terroristes mais elle sera loin de l’éliminer. Ce prolongement de la guerre totale à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et à ses alliés, qui avaient pris le contrôle du nord du Mali pendant près d’un an, était attendu. Il faudra vivre avec.


Le défi politique est aujourd’hui plus important que celui de la gestion sécuritaire de court terme. Depuis le double choc de l’an dernier au nord et au sud, il n’y a plus de pilote dans l’avion malien et ce dernier n’a plus de toute façon ni réacteur en bon état ni kérosène. Dans la cabine de passagers, ce n’est pas plus reluisant : les élites de la première classe, assommées par les évènements, sont divisées et se rejettent la responsabilité du détournement du kérosène et de l’argent qui aurait dû permettre d’entretenir les moteurs. Tandis que les Maliens de la classe économique, tout aussi déboussolés, s’entre-déchirent sur des bases communautaires, s’accusant les uns les autres d’être pro-rebelles touaregs, pro-islamistes, pro-putsch, pro-narcotrafiquants… À l’avant comme à l’arrière, très peu semblent prêts à se concentrer d’abord sur la recherche de solutions pour éviter une nouvelle plongée dans le vide, après avoir été sauvé in extremis du crash par l’intervention internationale en janvier.


L’ambition des autorités de transition d’organiser une élection présidentielle coûte que coûte en juillet est louable, et épouse les injonctions de Paris sur l’urgence électorale, mais cela ne représente pas un début de programme politique de sortie de crise. Même s’il faut bel et bien aller aux élections le plus vite possible pour donner un pilote à l’avion en perdition, serait-ce raisonnable de n’absolument rien faire avant cette échéance en matière de dialogue intercommunautaire et de redéploiement effectif et visible de l’État dans tous les cercles de région du Nord ?


Objectifs modestes


À quoi ressemblerait une campagne électorale dans une atmosphère de suspicion généralisée entre plusieurs composantes du corps social, laquelle pourrait être exploitée par des candidats prêts à tout pour arriver au pouvoir à Bamako ? Soyons clairs. Il ne s’agit pas de se donner des objectifs grandioses en termes de réconciliation nationale, de rétablissement de l’autorité de l’État, de retour des réfugiés au Nord ou même de sécurisation totale du territoire avant l’organisation des élections. Celles-ci sont urgentes et souhaitées par l’écrasante majorité des acteurs politiques maliens. Il faut soutenir cet élan. Mais cela ne doit pas pousser à une organisation bâclée créant les conditions d’une crise postélectorale qui ferait à nouveau décrocher l’avion malien.


Il faut se donner des objectifs modestes avant l’élection présidentielle. Le dialogue inter-malien doit commencer maintenant, par des concertations locales au Nord, à l’échelle des cercles puis des régions, et  inclure les représentants de toutes les formes de légitimité : élus locaux, autorités traditionnelles et religieuses, organisations féminines et mouvements de jeunes, notamment ceux qui se sont organisés pendant les mois d’occupation pour résister et jouer le rôle d’interface entre les populations et les groupes armés.


Les responsables du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) doivent comprendre de leur côté qu’il est dans leur intérêt de renoncer à la lutte armée et à l’exigence de négociations exclusives avec le gouvernement sur le modèle des années 1990. Ce dernier doit par contre engager des discussions discrètes permettant d’éviter toute reprise d’affrontements armés notamment à Kidal et de créer les conditions du dépôt volontaire des armes par le MNLA.


La deuxième exigence avant les élections est un redéploiement significatif de l’État au Nord, accompagné par une impulsion économique minimale et une forte association de la société civile locale, de manière à apaiser les cœurs et à créer de l’intérêt pour la participation électorale. Dans ces deux domaines prioritaires à court terme, la communauté internationale doit apporter une aide conséquente mais exigeante, contrôlée sur le terrain et coordonnée. Ce serait dramatique que viennent s’ajouter aux défaillances des moteurs, de l’équipage et des disputes des passagers de l’avion Mali une bagarre d’ego et d’influence entre les contrôleurs aériens extérieurs censés l’aider à atterrir en douceur. Il faut en particulier désamorcer au plus tôt la tension qui affleure entre les organisations africaines d’une part, Cedeao et Union africaine, et l’ONU de l’autre, sur la question du leadership politique de l’action internationale.


Publié sur jeune afrique.com le 29 avril 2013