vendredi 1 février 2013

Au Mali, privilégier la restauration de l'État

Déclenchée le 11 janvier par la France, l’opération Serval ne s’est pas contentée de bloquer l’offensive des groupes armés islamistes vers le Sud du Mali, objectif initialement affiché par Paris. Elle a permis de les chasser en un temps record des deux plus grandes villes du Nord du Mali, Gao et Tombouctou, et de donner à ce qui reste de l’armée malienne le sentiment de participer à la reconquête du territoire qu’il n’a pas su ni voulu défendre l’an dernier. Il n’y a pas lieu de faire la fine bouche : l’intervention française était non seulement nécessaire et vitale au moment où elle a été déclenchée mais la reprise des villes du Nord est effectivement vécue comme une « libération » par des populations abandonnées depuis neuf mois au règne brutal de groupes dépourvus d’une quelconque légitimité. C’est ce qui explique le soutien certes quelque peu gêné mais franc de l’Union africaine à l’action militaire d’une ex-puissance coloniale dont les interventions suscitent généralement, et à raison, de sérieuses controverses. Mais les succès militaires n’ouvriront une réelle opportunité pour une stabilisation du Mali et de son voisinage que si le volet militaire et sécuritaire s’insère dans une stratégie globale qui se décline dans le temps et dans l’espace de manière raisonnée et coordonnée.

A très court terme, la priorité est de contenir les risques de dérapages violents associés au redéploiement de l’armée malienne dans le Nord. Après l’humiliation subie l’an dernier face aux combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, rébellion séparatiste Touareg), du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), d’Ansar Eddine et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), la tentation de représailles violentes de soldats maliens et/ou de jeunes mobilisés dans des milices communautaires visant les « peaux claires » (Touareg, Arabes, Maures…) mais aussi des Peuls suspectés d’avoir soutenu les indépendantistes Touareg ou les groupes islamistes est réelle. Les exactions des militaires maliens, qui ont été signalées ici et là, doivent être contenues et leurs auteurs immédiatement sanctionnés. Autrement, une réoccupation du Nord ponctuée de règlements de comptes  entravera le retour des dizaines de milliers de déplacés et de réfugiés, annihilera tout espoir de paix entre les communautés du Nord du Mali pendant des années, et entretiendra un terreau favorable aux groupes criminels opportunistes, qu’ils soient terroristes ou acteurs du trafic de drogue dans la bande sahélo-saharienne. Sans une pacification des relations intercommunautaires et l’établissement d’un lien fort entre l’Etat et les résidents des vastes espaces du Nord du Mali, le contrôle sécuritaire de ces régions restera illusoire.


La France ne doit pas céder à l’illusion d’une victoire militaire totale contre le terrorisme dans cette partie du continent africain. Ce qu’elle a fait et est en train d’achever est de dénier à AQMI l’occupation sereine de la majeure partie du territoire d’un Etat dont la déliquescence au cours des dernières années a agi comme un aimant de toutes sortes de groupes criminels. Même considérablement affaibli et désorganisé, le noyau dur des jihadistes, dont la mobilité est un mode de vie, a la capacité de trouver de nouveaux sanctuaires dans une Afrique du Nord qui ne s’est pas remise des « printemps arabes » et encore moins de l’effondrement libyen. Une victoire sur AQMI au Mali ne sera que provisoire si le danger est simplement exporté plus au nord, en Algérie ou jusqu’aux confins de la Libye et de la Tunisie. La France ne peut pas à elle seule mener et encore moins gagner cette guerre-là qui est à durée indéterminée.


La reconquête militaire du Nord du Mali ne doit pas conduire les autorités de Bamako à négliger l’indispensable et urgente relance d’un processus politique de reconstruction d’un Etat malien légitime aux yeux de toutes les composantes ethniques du pays du Nord au Sud. Il faut laisser une porte de sortie politique aux groupes comme le MNLA et les dissidents d’Ansar Eddine qui, par instinct de survie ou opportunisme, accepteraient de renoncer à la lutte armée contre l’Etat malien sans pour autant leur octroyer un brevet automatique de légitimité à parler au nom d’une communauté spécifique du Nord, notamment les Touareg qui ne constituent nullement un bloc monolithique. Un dialogue national est plus que jamais nécessaire pour consolider les institutions de transition, définir un calendrier électoral réaliste et réunir les représentants des différentes communautés du Nord et du Sud autour du triple objectif de restauration de la sécurité au Nord, de l’apaisement des tensions intercommunautaires partout dans le pays et de la construction d’un Etat de droit. 


(Tribune publiée dans Le Figaro du 1er février 2013)