lundi 20 août 2012

Mali : la force n'est pas "la solution"

Depuis que le Mali a basculé dans un coma profond, frappé par la résurgence d'une rébellion touarègue et par un coup d'État militaire, la seule interrogation qui vaille semble être celle de savoir quand l'intervention militaire ouest-africaine ou internationale aura lieu. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) est-elle capable de déployer une force ? Avec quel mandat ? Bénéficiera-t-elle des renseignements militaires et de l'appui aérien de la France et des États-Unis, présents et actifs à des degrés différents dans la bande sahélo-saharienne ? Sera-t-elle acceptée par le voisin algérien ?

Dès lors que les groupes armés islamistes adossés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont expulsé les rebelles touaregs indépendantistes des villes du Nord, les derniers doutes sur l'opportunité d'une réponse militaire se sont envolés chez nombre d'acteurs et d'observateurs. Avec qui peut-on encore envisager de négocier, demande-t-on à ceux qui appellent à une approche politique ? Avec des djihadistes qui veulent imposer leur vision de ce que devrait être la vie d'un bon musulman ? Avec des preneurs d'otages, d'authentiques terroristes ou des trafiquants de drogue ? 

Devant le choc légitime de nombre de Maliens face aux souffrances de leurs compatriotes des régions de Gao, Tombouctou, Kidal ; face à l'hébétude de beaucoup de voisins d'Afrique de l'Ouest découvrant que la menace islamiste est à leur porte ; devant les craintes des pays occidentaux, en particulier européens, de l'apparition d'un "nouvel Afghanistan" à distance de chameau de leurs capitales, il est difficile d'identifier les réponses possibles à la crise. 

La question à se poser aujourd'hui n'est pas celle de savoir si une action militaire contre les groupes armés est inévitable ou non. Il faut examiner tous les symptômes présentés par le patient malien, saisir la complexité des rapports des différentes communautés originaires du Nord, entre elles, et entre elles et celles du Sud, et appréhender les intérêts des pays voisins. Lorsqu'on fait ce travail, les certitudes sont rares. Sauf peut-être celle qui consiste à estimer que l'usage de la force ne peut être qu'une option complémentaire à une approche politique mais ne saurait être "la solution".

Les acteurs de la crise sont eux-mêmes incapables d'anticiper les conséquences de leurs initiatives. Le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), qui a déclenché la rébellion, s'est fait déborder par une force islamiste qu'il a dans un premier temps négligée. Ansar Eddine, le groupe dirigé par Iyad Ag Ghali, ancien rebelle touareg de Kidal qui avait voulu prendre la tête du MNLA au moment de sa création, s'est prestement allié aux chefs d'Aqmi, majoritairement algériens. Le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), que nul ne connaissait encore il y a quelques mois, a fait son lit à Gao et affirme, par son recrutement à la fois multiethnique, local et multinational, une ambition politico-religieuse moins "étrangère" que sa maison mère, Aqmi. 

Tous ces mouvements ont prospéré sur le terreau fertile des trafics transsahariens, du business des rançons payées pour récupérer des otages occidentaux et de l'aubaine provoquée par le chaos en Libye, pourvoyeuse de nouvelles armes. De leur côté, les putschistes emmenés par le capitaine Amadou Haya Sanogo n'ont fait qu'aider les groupes rebelles à parachever leur conquête du Nord en mettant l'État à terre.
C'est cet État qu'il faut impérativement remettre sur pied. Dès lors qu'un gouvernement représentatif des principales forces politiques et sociales aura été mis en place, les acteurs régionaux et internationaux devront afficher un soutien clair à l'État malien à travers la reprise de l'aide extérieure, l'assistance à la protection des institutions de transition et des mesures immédiates en faveur de la restructuration de l'armée. Il faut éviter à tout prix une mobilisation des jeunes dans des milices communautaires supplétives à une armée désorganisée. Emprunter cette voie, ce serait ouvrir une boîte de Pandore de laquelle s'échapperaient de nouveaux monstres qui enterreraient pour longtemps les espoirs de paix au Mali et dans l'ensemble de la région.

 Jeune Afrique  |   20 Août 2012

mardi 7 août 2012

Mali: remettre de l'ordre au Sud

Le retour à Bamako du président intérimaire Dioncounda Traoré le 27 juillet 2012 et son discours rassembleur du 29 juillet sont de bonnes nouvelles pour le Mali, mais les obstacles à une normalisation politique sont encore nombreux. La bataille farouche pour le contrôle de la transition n’est pas terminée.

Certains contestent toujours la légitimité de l’ancien président de l’Assemblée nationale sous Amadou Toumani Touré (ATT) à diriger le pays pendant cette période critique de transition.


Doter le pays d’une tête unique
 
A Bamako, peu après l’agression au marteau du président Traoré le 21 mai 2012, nombre d’interlocuteurs maliens et étrangers déploraient l’ignoble attaque mais faisaient remarquer que la victime était particulièrement impopulaire. Mais en l’absence d’élections, sur quoi se fonde-t-on pour mesurer la popularité de tel ou tel autre ? Est-ce le moment approprié pour un concours de beauté entre les leaders politiques maliens ? Qui parmi les responsables des principaux partis politiques fait rêver les populations ? Et lequel parmi eux n’a jamais été associé d’une manière ou d’une autre à la gestion des affaires publiques et peut incarner sans l’ombre d’un doute une gouvernance vertueuse ?

Au point où en est le Mali aujourd’hui, ce qui est important n’est pas d’épiloguer sur la popularité du président et sur ses défauts ou qualités présumés, mais de doter le pays d’une tête unique pour incarner l’Etat, d’institutions de transition représentatives de la diversité politique et sociale de l’ensemble du pays, d’un cadre formel et transparent pour entamer des négociations avec les groupes armés non terroristes du Nord qui le souhaitent et d’un plan immédiat de restructuration de l’armée. 

Au Nord, les islamistes imposent leur loi 

Les groupes armés islamistes observent tranquillement depuis Gao, Tombouctou et Kidal ce qui reste de l’Etat malien peiner à se relever et à s’organiser. Les populations restées dans ces zones vivent le mois sacré du Ramadan dans une incertitude radicale sur leur avenir. Les islamistes semblent tout faire pour attirer l’attention, et pour accréditer l’idée qu’ils sont bien des clones en terre saharienne africaine des Talibans d’Afghanistan. Le dernier épisode en date est la lapidation à mort d’un couple qui aurait eu des enfants hors mariage à Aguelhok, la localité qui a déjà été le théâtre des plus graves exactions pouvant relever de la catégorie des crimes de guerre pendant la conquête du Nord par les forces islamistes d’Ansar Dine et la rébellion touareg du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). La situation humanitaire au Nord du Mali est dramatique. Personne ne peut en douter.

Pas de solution immédiate 

Mais ce n’est pas une escalade guerrière, à coups de mobilisation de milices au Sud aux côtés d’une armée malienne toujours dominée par des ex-putschistes, dont certains sont responsables de tortures, d’exécutions sommaires et d’enlèvements de journalistes, qui ramènera la paix et la sérénité dans un Nord multiethnique.
La crise malienne a dépassé depuis longtemps le seuil de réversibilité rapide. Il n’y a tout simplement plus de solution à chercher et à espérer à court terme. Et pas de solution qui soit exclusivement ou même principalement militaire.

Les appels en faveur d’une intervention armée qui résoudraient le problème de l’abandon de l’immense territoire du Nord du Mali aux combattants d’Ansar Dine et du Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), tous nourris au lait du groupe terroriste d’Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi) installé de longue date dans la région, n’ont cessé de résonner au cours des derniers mois.


Que ce soit au Mali, dans l’espace de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ou en France, l’ex-puissance coloniale dont six des ressortissants sont toujours retenus comme otages quelque part dans les sables mouvants du désert par Aqmi.


Le Nord-Mali n’est pas l’Afghanistan

Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, qui a fait une grande tournée en Algérie, au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Sénégal et au Tchad, ne ménage pas ses efforts pour défendre la nécessité, « à un moment ou à un autre », d’une intervention militaire conduite par les pays africains mais soutenue par la communauté internationale.

Les voisins du Mali, à l’exception peut-être de l’Algérie qui s’est de fait accommodée depuis quelques années de la présence d’Aqmi de l’autre côté de sa frontière sud, ont peur que le Mali ne devienne un sanctuaire pour des groupes qui prétendent poursuivre le djihad à coups de conquêtes territoriales armées et d’actes terroristes qui seraient légitimés par la grandeur de leur cause divine.


User et abuser de la comparaison du Nord-Mali avec l’Afghanistan, comme le font nombre de diplomates occidentaux et des chefs d’Etat ouest-africains, est cependant stérile et potentiellement contre-productif. La situation est grave mais encore circonscrite à une région certes vaste mais contenue dans les frontières maliennes.


D’abord consolider l’Etat à Bamako

Il faut éviter de faire déborder la crise sur les pays voisins et de provoquer une militarisation sans précédent d’une Afrique de l’Ouest dont les pays sont eux-mêmes individuellement très fragiles et peu préparés à se lancer dans une guerre contre des ennemis qui ne sont pas encore suffisamment isolés.

Il faut d’abord consolider l’Etat à Bamako, assainir et réorganiser son armée sans faire davantage de concessions aux ex-putschistes, protéger le Sud, et notamment son économie, et amener par la diplomatie les pays voisins qui ont des moyens potentiels de pression sur les groupes armés à faire partie de la solution.


Il a fallu des années de recul de la présence politique, économique et sociale de l’Etat, de négligence des risques liés à l’implantation d’islamistes importés et de trafiquants de drogue dans de vastes territoires, et le puissant choc externe qu’a été la guerre en Libye pour qu’on en arrive là. Il faut aujourd’hui s’assurer de commencer à remonter la pente, sans croire à l’existence d’une solution spectaculaire.

Slate Afrique  |   7 Août 2012