mardi 3 février 2009

Contre le Gouvernement de l’Union, les Etats-Unis d’Afrique et autres idées farfelues

Du 1er au 3 février, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine (UA) se sont retrouvés à Addis-Abeba pour le douzième sommet de l’organisation. Cette année, ils ont planché sur le thème du développement des infrastructures en Afrique, sujet dont on ne doute pas de l’importance si l’on veut atteindre les objectifs d’intégration économique des pays du continent. Ils ont cependant remis également sur le couvert une session spéciale sur le « Gouvernement de l’Union ». En juillet 2007, à Accra, le débat autour du projet de création d’un Gouvernement de l’Union avait été vif et s’était –heureusement - terminé en queue de poisson du fait de la division des chefs d’Etat sur l’opportunité de se rallier ou non aux grandes idées du Guide libyen Mouammar Kadhafi, chantre des Etats-Unis d’Afrique, et de ses principaux soutiens.

Si rien n’est fait, il y a de fortes chances que l’Union africaine traîne chaque année comme un boulet le grandiose projet du gouvernement panafricain et des Etats-Unis d’Afrique et continue d’y affecter du temps et des ressources rares. Il faut au plus tôt ranger ce dossier dans un tiroir et ne le ressortir que dans une trentaine d’années lorsqu’il apparaîtra peut-être moins décalé par rapport aux réalités politiques, économiques et financières du continent. Lors du grand débat d’Accra, les observateurs avaient distingué trois groupes : « les maximalistes » menés par la Libye et le Sénégal qui étaient favorables à la création immédiate d’un gouvernement de l’Union, « les gradualistes » prônant une approche progressive qui devait passer d’abord par la consolidation des communautés économiques régionales, et « les sceptiques » qui n’avaient pas voulu prendre position ou du moins l’afficher. Dans une de ses rodomontades dont il a le secret, le Guide libyen avait quitté avec fracas la salle de conférence, déçu par les réserves de ses collègues sur les Etats-Unis d’Afrique. La personnalité pour le moins controversée du porteur du projet pose également un véritable problème de crédibilité.

La Libye de Kadhafi ne représente pas exactement l’idée que l’on se fait de la modernité politique, de la démocratie et du respect des droits de l’homme. Sans évoquer le soutien du Kadhafi révolutionnaire d’antan à des hommes comme Charles Taylor et Foday Sankoh qui ont présidé à la destruction du Liberia et de la Sierra Leone dans les années 1990, ni son recours au terrorisme par le passé ou encore les conditions indignes infligées aux migrants irréguliers subsahariens en Libye. Ce serait trop facile et en réalité peu convaincant de se focaliser sur la personnalité de Kadhafi pour combattre sa vision panafricaniste. Un projet peut être bon même si son initiateur manque de crédibilité. Celui du Gouvernement de l’Union est, en l’état actuel, mauvais en soi.

L’inaboutissement du projet de l’Union Africaine et l’incohérence temporelle


Depuis le débat historique de 1963, mené notamment par le Ghanéen Kwame Nkrumah, sur la nécessité d’une union continentale et la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), l’idéal panafricain n’a jamais disparu des esprits. Verrouillée pendant l’essentiel de son existence par une écrasante majorité de chefs d’Etat putschistes, dictateurs et souvent incompétents, l’OUA faisait pâle figure au moment où se sont engagées des transformations politiques majeures au début des années 1990. Le 11 juillet 2000, l’Acte constitutif d’une nouvelle organisation, l’Union Africaine, était signé. Deux ans plus tard, à Durban en Afrique du Sud, l’Union Africaine naissait, portant avec elle de nouvelles promesses de paix, de sécurité et de prospérité pour le continent.

Les ambitions de l’héritière de l’OUA sont énormes : droit d’ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres lorsque la paix et la sécurité sont menacées, engagements sur les principes de la démocratie et de la bonne gouvernance, opposition à tout changement anticonstitutionnel de gouvernement, mise en place d’une architecture institutionnelle en matière de paix et de sécurité, de justice, d’intégration économique, monétaire et financière. La palette d’institutions prévues par l’Acte constitutif est notable : la Conférence de l’Union, le Conseil exécutif, la Commission de l’Union, le Conseil de paix et de sécurité, la Cour de Justice, le Parlement panafricain, le Conseil économique, social et culturel, une Banque centrale africaine, un Fonds monétaire africain et une Banque africaine d’investissement.

En 2009, cette architecture institutionnelle est encore en cours de mise en place et aucune des trois institutions financières – dont l’opportunité de la création est par ailleurs discutable - n’existe encore. On a surtout vu au cours des dernières années l’activité de la Commission et du Conseil de paix et de sécurité, une sorte de réplique du Conseil de Sécurité de l’ONU (mais sans droit de veto), qui a autorisé le lancement d’opérations militaires de maintien de la paix au Burundi, en Somalie et maintenant au Darfour dans le cadre d’une opération « hybride » avec l’ONU. Les huit commissaires chargés chacun d’un département, allant des affaires politiques à l’économie rurale et l’agriculture en passant par les infrastructures et l’énergie ; les ressources humaines, la science et la technologie, travaillent également même si très peu nombreux sont les Africains qui peuvent citer leurs noms. Celui du président de la Commission de l’UA, l’ex-ministre des Affaires étrangères du Gabon Jean Ping, qui a succédé à l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, est plus connu.

L’organisation a un problème de financement chronique, largement prévisible puisqu’il s’agit tout de même d’un rassemblement d’Etats majoritairement pauvres. Même les plus puissants d’entre eux, à l’instar de l’Afrique du Sud, du Nigeria ou de l’Angola, doivent faire face à des défis économiques et sociaux internes tellement énormes qu’on les imagine mal porter à bout de bras une Union africaine à l’architecture institutionnelle lourde et aux grandes ambitions. C’est en raison de l’insuffisance de moyens financiers que les organes prévus par l’Acte constitutif continuent à se mettre en place laborieusement plus de six ans après la création de l’organisation panafricaine. Les graves problèmes financiers sont également visibles dans le domaine de la paix et de la sécurité où l’UA a pris la courageuse initiative de déployer des missions militaires de maintien de la paix dont on connaît les coûts exorbitants. Sans surprise, elle doit compter de manière systématique sur des apports extérieurs au continent et en particulier sur celui de l’Union européenne, son grand modèle. Les inextricables difficultés de l’opération de l’UA en Somalie ou encore au Darfour comme l’insuffisance de troupes, et d’équipements sont connues.

On en est là en 2009. Et quelques chefs d’Etat voudraient vendre l’idée d’un gouvernement panafricain? Pour faire quoi ? Quelle continuité y a-t-il entre le projet de l’UA, dont on vient de voir qu’il n’en est qu’au début de sa mise en œuvre, et celui du Gouvernement de l’Union ? Faut-il comprendre que ces éminents présidents et leurs experts s’étaient trompés en décidant de la configuration actuelle de l’UA ? Se moque-t-on des populations africaines ? Où a-t-on vu ailleurs dans le monde des gens sérieux décider de mettre en place une organisation internationale ambitieuse et les mêmes revenir cinq ans plus tard avec une nouvelle idée encore plus grande alors que tous les organes constitutifs de la première ne sont pas encore fonctionnels ? Le Gouvernement de l’Union, nous dit-on, consisterait à désigner des ministres panafricains dans des domaines précis qui pourraient être, selon la déclaration d’Accra de juillet 2007, l’environnement, les pandémies, la recherche et les universités, les négociations commerciales, la paix et la sécurité, les infrastructures et le crime transfrontalier. Fort bien. Sauf qu’on a déjà des commissaires censés s’occuper de différents départements sous la conduite d’un président et d’un vice-président de la Commission. S’agit-il seulement de leur changer d’appellation? Aux dernières nouvelles, on s’orienterait vers la transformation de la Commission de l’UA en « Autorité africaine» et celle des commissaires en « secrétaires »…

Si on estime que le mode de nomination, la délimitation des départements, les attributions et le pouvoir de décision des commissaires et du président de la Commission sont mal conçus et les privent d’efficacité et de visibilité, la logique voudrait qu’on réforme cet organe clé de l’UA. Si ses quelques années d’existence ont révélé d’autres défaillances et défauts de conception dans l’organisation et ses composantes, le bon sens suggèrerait que des réformes soient effectuées après une évaluation et un débat ouvert. En réalité, c’est précisément dans cet esprit qu’a été mis en place en 2007 un « panel d’éminentes personnalités » extérieures à l’organisation pour préparer un audit institutionnel de l’UA. Soumis à la Conférence des chefs d’Etat en janvier 2008 et jamais mis en ligne sur le site Internet de l’UA, comme on l’aurait espéré d’une organisation qui se veut ouverte aux peuples et non pas seulement aux Etats, il a été essentiellement mis sous le boisseau jusqu’au sommet de ce mois de février. Les fuites dans la presse l’an dernier avaient en effet permis de savoir que l’audit était accablant pour l’organisation. Il décrivait par exemple au niveau de la Commission de l’UA moult dysfonctionnements, des chevauchements dans les portefeuilles, des lignes d’autorité et de responsabilité peu claires, des objectifs mal définis, des problèmes de compétences des commissaires, un manque de leadership…

L’UA ne fonctionne donc manifestement pas bien et a besoin d’un urgent toilettage. Plutôt que de s’embarquer dans une nouvelle grande idée de Gouvernement d’Union, voire d’Etats-Unis d’Afrique, la priorité pour les chefs d’Etat et de gouvernement ne devrait-elle pas d’examiner attentivement les conclusions et les recommandations de l’audit, solliciter s’il le faut d’autres avis, et décider de la mise en œuvre rapide des recommandations essentielles ? Dans tout environnement institutionnel où les décideurs sont réellement responsables de leurs actes et de l’utilisation de leur temps et de leur argent devant leurs mandants, on aurait procédé ainsi. La Conférence de l’UA n’est plus le syndicat de chefs d’Etat qu’était l’OUA mais les habitudes ont la peau dure et la notion de responsabilité politique n’a pas encore complètement pénétré les esprits, malgré la présence salutaire d’un groupe de présidents réellement élus à côté du « guide », des dinosaures et de leurs héritiers. Tous les Africains ont le droit de rêver de gouvernement panafricain et d’une formidable unité. Un jour. Le problème se pose lorsque les chefs d’Etat rêvent avec l’argent des autres. Celui de leurs concitoyens et sans leur demander leur avis.

Le contournement des problèmes et l’irréalisme

La deuxième faille dans le raisonnement de ceux qui prônent la mise en place d’un gouvernement panafricain tout de suite, c’est cette étonnante croyance qu’un tel gouvernement peut être fort, efficace, légitime et respecté, si la majorité des Etats dont il est issu sont faibles, défaillants, peu démocratiques. On entend souvent dire qu’un gouvernement de l’Union sera efficace précisément parce qu’il jouirait d’une réelle indépendance à l’égard des chefs d’Etat et de gouvernement des différents Etats africains, contrairement à l’actuelle Commission de l’UA. Outre la folle hypothèse qui voudrait que les chefs d’Etats acceptent réellement de se soumettre au bon vouloir d’un exécutif continental qu’ils auront pourtant mis en place, ce raisonnement révèle une tendance quasiment pathologique à contourner les problèmes en créant indéfiniment de nouvelles institutions : puisque beaucoup d’Etats africains sont dysfonctionnels, que les gouvernements sont corrompus ou que les présidents manquent de vision pour leur pays, laissons tout ce dispositif en place – on n’y peut rien - et créons un Gouvernement d’Union qui serait miraculeusement affranchi des tares nationales.

Les graves insuffisances de l’UA révélées sans complaisance dans l’audit mentionné plus haut montrent bien que les fléaux des administrations nationales se retrouvent au niveau de l’administration continentale : conflits personnels, incompétence, opacité des nominations et des recrutements, absence de sanctions, corruption sous toutes ses formes, manque de délimitation claire des responsabilités… C’est le contraire qui eût été surprenant. Chacune des structures continentales reflète nécessairement la diversité des Etats membres en termes de volonté politique des dirigeants, de compétence et de rigueur des administrations nationales, de valeurs véhiculées par l’élite politique et de niveau de développement économique. L’Afrique qui veut s’unir, c’est aussi bien le Botswana, près de cinquante ans de stabilité politique, de fonctionnement démocratique et de développement économique que la République démocratique du Congo, cinq décennies de corruption, de stabilité factice précédant l’implosion, de violences et d’appauvrissement. C’est aussi bien la Tunisie, pas vraiment démocratique mais organisée et prospère que le Zimbabwe qu’un régime décadent a durablement plongé dans le chaos économique et le choléra. C’est aussi bien le Ghana, le Bénin, le Mali ou le Cap-Vert, aux expériences démocratiques récentes mais prometteuses que la Guinée, la Mauritanie, où les coups d’Etat militaires sont d’actualité.

L’autre face de la croyance évoquée plus haut consiste à penser qu’on résoudra les problèmes qui se posent au niveau de chacun des pays africains en déplaçant le lieu de prise de décision du national au supranational. Certaines questions transcendent bien sûr les frontières nationales et exigent des réponses soit au niveau régional, soit à l’échelle continentale. C’est ce qui fonde l’existence d’organisations régionales comme la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). La construction de blocs régionaux et d’une organisation panafricaine sont essentiels pour coordonner des politiques nationales afin d’en démultiplier les effets et d’augmenter le pouvoir de négociation avec le reste du monde notamment dans le domaine commercial et de la gestion des enjeux globaux comme la paix, la sécurité et la préservation de l’environnement. Les causes premières de l’état du continent, de chacun de ses pays et de ses populations sont cependant très largement à trouver au niveau de la qualité du leadership politique des pays pris individuellement et de l’échec dans bien des cas des processus de construction d’Etats légitimes, bienveillants et efficaces. C’est bien pour cela que les différences sont marquantes au sein du continent, que certains pays sont sortis de la spirale des guerres civiles, de l’instabilité politique, de la destruction des économies et de la société tandis que d’autres y sont résolument installés ou s’évertuent d’y entrer.

L’élite politique africaine continue de s’enfermer dans une logique de déni, de refus de voir la vérité en face. On essaie toujours de se convaincre et de convaincre les populations africaines que le reste du monde est le principal obstacle au progrès économique et social du continent, et donc que la construction d’un bloc africain résoudra tous les problèmes. Parce qu’on aurait un Gouvernement de l’Union, les chefs d’Etat qui tripatouillent les constitutions pour rester au pouvoir, ceux qui confondent les coffres publics avec leurs cassettes personnelles, ceux qui ne tolèrent aucune critique de leurs actions, tout comme les hauts fonctionnaires tellement occupés par la recherche de leurs intérêts financiers qu’ils en oublient leur travail, deviendraient tous vertueux ou s’effaceraient avec grâce et élégance devant un « président des Etats-Unis d’Afrique », ses ministres et une administration continentale étonnamment vertueux et compétents. Il est tellement politiquement incorrect d’émettre le moindre doute sur toute initiative qui prétend aller dans le sens du renforcement de l’unité africaine que personne n’ose qualifier le projet de gouvernement continental comme il se doit : un conte de fée… particulièrement coûteux.

Les décideurs africains, ceux qui participent aux conclaves de l’Union africaine et à bien d’autres, voyagent beaucoup et sont très ouverts sur le monde. Ils rencontrent régulièrement leurs homologues des autres continents et en particulier ceux des pays de l’Union européenne compte tenu des relations spéciales nées de l’histoire coloniale. Il n’est certainement pas facile de rester lucide dans ces conditions. Et de ne pas oublier que les réalités des pays et les besoins des peuples qu’ils représentent sont fort éloignés de ceux des pays riches d’où viennent leurs partenaires et leurs inspirateurs. L’Union européenne est très clairement le grand modèle qu’essaie d’imiter l’Union africaine. Les deux organisations sont désormais liées dans un « partenariat stratégique » et comme déjà souligné, l’UE représente la source extérieure de financement favorite des opérations d’envergure entreprises par sa petite sœur africaine. Seulement voilà : la construction de l’Union européenne, de la Communauté économique européenne en 1957 à l’actuelle architecture institutionnelle née en 1992, s’est faite parallèlement à des transformations politiques, économiques et sociales qui ont rendu les Etats européens individuellement plus forts, plus riches, plus démocratiques et leurs populations en meilleure santé, mieux éduquées et plus nanties.

Les pères fondateurs de l’Europe ont rêvé d’une union qui n’a pris forme que quatre décennies plus tard mais ils n’ont pas confondu l’idéal qu’ils imaginaient pour les générations futures avec leurs responsabilités immédiates dans leurs pays respectifs. Pendant qu’ils mettaient en place le socle sur lequel allait s’édifier la communauté européenne, ils travaillaient aussi à consolider la démocratie chez eux, à moderniser leurs économies nationales, à concevoir des systèmes de redistribution des richesses, à investir massivement dans l’éducation et la formation et à apprendre la collaboration étroite avec leurs voisins à travers le lancement de projets concrets dans l’industrie, la recherche et la coordination de leurs politiques économiques et monétaires. C’est comme cela que la France a appris à travailler avec l’Allemagne, ces deux là avec la Belgique, l’Italie, l’Espagne ou le Portugal… permettant de rendre de plus en plus réaliste une intégration politique et économique très poussée et élargie à d’autres pays.

Les fondateurs de l’UE avaient, eux, compris que leur organisation continentale ne pourrait être forte et légitime que s’il existait un noyau solide d’Etats européens individuellement stables, démocratiques et économiquement puissants, si ces Etats partageaient un ensemble de valeurs clairement identifiées, et si leurs populations avaient de bonnes raisons de penser que les bénéfices d’une telle entreprise seraient supérieurs à son coût. Aucune de ces conditions n’est actuellement réunie en Afrique et rien ne garantit qu’elles le seront même dans deux décennies. Beaucoup de dirigeants africains n’en ont cure. Une bonne part de leurs populations a le plus grand mal à s’alimenter, à nourrir et éduquer leurs enfants, à vivre à peu près dignement. Et ils voudraient nous faire croire que l’intégration politique du continent représente la priorité de l’heure ? Si les citoyens européens permettent l’allocation de ressources conséquentes aux institutions de l’UE et aux projets communautaires, c’est parce que leurs besoins élémentaires ont déjà été satisfaits par les efforts nationaux et qu’ils attendent de l’intégration qu’elle repousse les frontières des possibilités, au-delà de ce que peuvent individuellement réaliser les Etats.

Les pays européens ont suffisamment de ressources humaines pour faire fonctionner leurs administrations et leurs économies nationales et peuvent se permettre d’envoyer une partie de celles-ci à Bruxelles et dans les délégations de l’UE à travers le monde. Les ressources humaines et matérielles africaines sont tellement rares compte tenu de l’ampleur des défis à relever dans chacun des pays qu’on ne devrait pas les employer dans des bureaucraties panafricaines à l’utilité douteuse. Au lieu de discuter de la mise en place d’un nouveau monstre institutionnel, les chefs d’Etats et de gouvernement africains devraient recadrer l’actuelle Union africaine déjà surdimensionnée sur un minimum de priorités et en alléger considérablement la voilure. Pour construire des autoroutes, des gazoducs et des pôles universitaires à l’échelle régionale et continentale, on n’a nullement besoin d’un Gouvernement d’Union ou d’Etats-Unis d’Afrique.

(Publié sur allafrica.com le 3 février 2009)

Des mots d’Obama aux maux de l’Afrique

La crise économique profonde n’aura pas suffi. Les Américains restent exceptionnels. Ils ont réussi à faire d’un évènement national, l’investiture de leur président élu deux mois plus tôt, un évènement planétaire. Le 20 janvier dernier, la partie du monde – de plus en plus nombreuse – qui a accès à la télévision, à Internet ou simplement à la radio, devait faire preuve d’une manifeste mauvaise volonté et d’un certain snobisme pour ne pas vivre en direct ou en différé la prestation de Barack Obama à Washington DC. On l’aime bien, Barack, et quand on est au moins aussi bronzé que lui, l’auteur de ces lignes étant noir et africain, on ne peut pas faire son malin et balayer d’un revers de la main le symbole puissant que représente pour le monde entier l’élection d’un président à moitié noir aux Etats-Unis. Il faut cependant reconnaître qu’on a frôlé l’indigestion médiatique.

Les Africains d’Amérique et les Africains d’Afrique ont sans douté été un peu plus émus que les autres de par le monde, marqués qu’ils sont par une histoire réelle ou ressentie d’humiliations, de discriminations, de violences et de frustrations, à laquelle Obama a fait une unique et élégante allusion dans son discours d’investiture. Alors que le nouveau locataire de la Maison Blanche a commencé à travailler – pour les intérêts bien compris de son pays bien sûr, et avant que ne s’enclenche l’inévitable baisse de sa popularité nationale et internationale, saisissons l’opportunité du moment et arrêtons-nous sur quelques mots qui pourraient être autant de leçons à tirer par les Africains d’aujourd’hui du message et de la saga d’Obama.

Espoir

On l’a dit et redit. Jamais une élection présidentielle n’avait suscité un tel espoir en Amérique et dans le reste du monde. L’espoir, c’était aussi l’un des slogans de la campagne d’Obama. C’est ce qu’il voulait incarner pour des électeurs pressés de tourner la page sombre des années Bush, et peut-être également de marquer une rupture dans l’histoire des Etats-Unis en rendant possible l’entrée du fils d’un Africain marié à une Africaine Américaine à la Maison Blanche. L’espoir, c’est aussi la promesse faite aux Américains et au reste du monde dans son discours d’investiture : « En ce jour, nous sommes réunis parce que nous avons préféré l’espoir à la crainte, l’union au conflit et à la dissension », a-t-il dit. L’espoir, c’est celui d’un changement profond dans la manière d’exercer le pouvoir politique et d’interagir avec les citoyens.

À quand remonte la dernière fois que les Africains ont « espéré » en écoutant et en scrutant un de leurs leaders ? Combien sont-ils les chefs d’Etat, les responsables politiques, y compris les « opposants », qui suscitent ce sentiment simple qu’est l’espoir chez leurs peuples ? Nous ne parlons pas de l’espoir cantonné à la famille politique, à la famille tout court et aux « frères et sœurs » du même groupe ethnique que le leader en question. L’espoir de ces derniers est généralement bien précis : c’est celui de voir leur situation matérielle – ou plus rarement psychologique– individuelle s’améliorer avec l’accession de leur élu au pouvoir, quoiqu’il arrive par ailleurs aux autres et à la nation. Non, nous évoquons l’espoir dans la volonté et la capacité d’un responsable politique à apporter un supplément significatif à ce que chaque citoyen peut faire pour son propre bien-être, à consacrer son énergie et son intelligence à mobiliser celles de ses collaborateurs pour grandir son pays, sa nation et le peuple dont il est issu.

Combien sont-ils en Afrique qui ont au moins donné à espérer avant de décevoir parce que les électeurs s’étaient lourdement trompés sur leurs personnalités, leurs intentions ou leurs capacités ? Mettons de côté les présidents entrés par effraction dans l’histoire de leur pays au moyen de coups d’Etat, d’«héritage », de chantage à la guerre civile et qui se sont fait ensuite légitimer par des élections truquées, manipulées, ou travesties par l’usage de la force, de la terreur et par celui de l’argent public. On n’a certes pas besoin d’être démocratiquement élu pour donner de l’espoir… L’histoire montre cependant que ceux qui sont tellement convaincus de représenter l’espoir qu’ils ne peuvent attendre que leurs peuples en décident librement ne font pas rêver bien longtemps.

Fort heureusement, le groupe qui survit au tri entre « démocratiquement élus au moins une fois » et « jamais réellement choisis par les électeurs » est plus fourni aujourd’hui qu’il ne l’était il y a dix ou vingt ans. En Afrique de l’Ouest par exemple, Boni Yayi au Bénin, Alpha Toumani Touré au Mali, Abdoulaye Wade au Sénégal, Ellen Johnson Sirleaf au Liberia, Ernest Baï Koroma en Sierra Leone, Pedro Pires au Cap Vert, Mamadou Tandja au Niger, et le tout nouveau président du Ghana, John Atta-Mills ont été au moins une fois élus démocratiquement. Il y eut des moments d’espoir dans ces pays lorsque les populations ont eu le sentiment d’entrer en démocratie, de tourner la page de la soumission à l’arbitraire et généralement à l’incompétence des « hommes forts » ou encore de remplacer un chef d’Etat bien élu ou un parti qui n’avait plus rien à offrir.

En 2009, en Afrique de l’Ouest comme dans quelques pays d’Afrique de l’Est et australe, très peu en Afrique centrale il faut bien le reconnaître, il existe encore des femmes et des hommes qui nourrissent de l’espoir en la capacité de la politique de changer leurs vies ou au moins de changer celles de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Mais même dans ces rares refuges où l’on organise de vraies élections à intervalles réguliers constitutionnels et où ceux qui ont le pouvoir acceptent la possibilité de le perdre, cet espoir est assez modeste. Rien à voir avec l’enthousiasme des Américains et leur foi retrouvée en la politique. L’espoir des Africains chanceux qui vivent en paix et en démocratie n’est pas limité seulement en raison de l’ampleur des défis économiques, sociaux, sécuritaires qui semble rendre vain tout effort de progrès décisif par la voie du changement politique. Il est modeste parce que trop, beaucoup trop de leaders africains, chefs d’Etat, ministres, députés, hauts fonctionnaires, magistrats… ont donné une image détestable de l’exercice du pouvoir quel qu’il soit.

Les Etats africains indépendants dans leurs frontières actuelles sont jeunes, moins de cinquante ans d’existence pour la plupart. Le seul exemple de construction d’un Etat « moderne » et de formation d’une nation que la plupart des peuples africains ont pu voir, c’est celui qui leur fut imposé pendant deux, trois ou quatre décennies par quelques autocrates, parfois un seul. Le modèle fut trop souvent celui de l’Etat prédateur, du mépris des dirigeants pour l’intérêt général, de l’appropriation privée des ressources de l’Etat, et de la négation même de la conception de la politique comme noble mission de gestion de la cité. Parce que nos pays ont trop souvent été représentés au plus haut niveau par les plus brutaux, les plus cyniques, les plus cupides, les moins scrupuleux et les moins idéalistes, on en est venu à croire que la politique ne pourrait être faite autrement. D’honnêtes femmes et hommes ont fini par se convaincre que l’idée même de l’intérêt général était fondamentalement absurde. Et qu’il fallait effectivement être bête pour ne pas profiter de la moindre parcelle du pouvoir sur laquelle on pouvait mettre le grappin pour s’occuper d’abord, surtout et en fait exclusivement de soi et des siens.

Ce n’est donc pas nécessairement parce qu’il n’y aurait aucun leader africain de la trempe d’Obama que l’espoir est devenu denrée si rare sur le continent. C’est parce qu’une certaine élite politique s’est employée à le tuer dans le cœur et dans la tête des Africains, à coup de vol, de violence, de mensonge et de duperie. Le dicton qui voudrait que les peuples n’aient que les dirigeants qu’ils méritent ignore le fait que les dirigeants choisis par erreur et ceux qui n’ont pas du tout été choisis ont un impact durable et dévastateur sur les peuples qu’ils ont dirigés… Si l’incroyable spectacle de l’espoir généré par l’élection d’Obama peut permettre de restaurer la noblesse de l’engagement politique et de donner la force à la jeunesse des pays d’Afrique de se lancer dans une œuvre de désinfection des pratiques politiques chez eux, il aura été salutaire.

Responsabilité

« Notre économie est fortement affaiblie, conséquence de la rapacité et de l'irresponsabilité dont ont fait preuve certains, à cause également de notre incapacité collective à faire des choix difficiles et à préparer la nation à une nouvelle ère ». Et plus loin : « Ce que nous devons faire à présent, c'est entrer dans une nouvelle ère de responsabilité – c'est de reconnaître, et chaque Américain doit le faire, que nous avons des devoirs envers nous-mêmes, envers notre nation et envers le monde ». Obama dans son discours d’investiture. Irresponsabilité et incapacité collective : voilà des mots qui devraient aussi résonner dans nos oreilles africaines et des maux devenus chroniques dans un trop grand nombre de pays du continent. Le mot qui fâche, c’est plutôt la responsabilité, qu’elle soit déclinée dans sa version individuelle ou collective. Obama y est allé fort et pourtant ne parlait-il que des responsables de la débâcle économique de son pays. Dans bien d’endroits en Afrique, même lorsqu’il s’agit de crimes de sang, d’authentiques massacres de populations civiles, la dénonciation des responsabilités individuelles est généralement timorée. On ne touche pas aux puissants.

On préfère noyer les responsabilités individuelles dans d’insipides discours technocratiques sur la nécessité de la « bonne gouvernance ». Derrière chacun des drames sanglants sur le continent africain, que ce soit au moment des élections au Kenya, au Zimbabwe, au Togo, en Côte d’Ivoire, et derrière chacune des guerres civiles actuelles ou passées, derrière les génocides et les nettoyages ethniques, il y a des hommes et des femmes sains d’esprit qui se réunissent, élaborent des stratégies et décident que la recherche du pouvoir et des richesses justifie tous les moyens. Et même, lorsque par extraordinaire, quelques-uns de ces « leaders » se trouvent menacés par une justice internationale balbutiante, beaucoup d’Africains, y compris au sein de la jeunesse, tendent à s’émouvoir davantage de l’« acharnement judiciaire» sur des personnalités africaines que de la gravité et de la réalité des crimes dont ils sont accusés. Le monde est injuste et on n’est certes pas près de voir un ancien président américain ou tout autre puissant de premier ordre comparaître devant la Cour pénale internationale. Faut-il pour autant que nous encouragions l’irresponsabilité et son corollaire, une impunité qui nourrit la violence, la misère et la déshumanisation de millions d’Africains… au nom d’une indécente conception de la solidarité africaine?

De la même manière que la foi dans la politique, la responsabilité se transmet dans la société. L’irresponsabilité aussi. Et plus rapidement parce que bien moins exigeante. À force de répéter que ses ministres et ses collaborateurs étaient tous des voleurs sans que ne lui effleurât l’esprit que c’était lui qui les nommait, le président de la Guinée pendant les 24 dernières années, disparu le 22 décembre dernier, Lansana Conté, avait réussi à incruster dans l’esprit de bon nombre de ses concitoyens qu’on pouvait être chef d’Etat, jouir des privilèges exorbitants de la fonction et être parfaitement irresponsable. Dans les pays africains où les présidents semblent encore éternels, à l’image du Gabon, du Cameroun ou du Zimbabwe et de quelques autres, la notion de responsabilité n’a plus aucun sens puisque l’irresponsabilité n’a aucune conséquence pour ceux qui feraient la démonstration au sommet de l’Etat. En Afrique, le déni des responsabilités individuelles ou la gêne à les pointer du doigt a fini par créer une culture de l’irresponsabilité collective.

« Entrer dans une nouvelle ère de responsabilité ». On aimerait tellement que des leaders politiques africains élus fassent une telle promesse à leurs concitoyens et en particulier à leur jeunesse. Et que quelque chose dans leur parcours personnel, dans leur gestion de leur équipe politique et dans les premiers actes posés une fois le pouvoir acquis donne une once de crédibilité à une telle promesse. Cela existe sans doute, des chefs d’Etat conscients de leurs responsabilités et désireux de faire entrer leur pays dans une nouvelle ère de responsabilité. Au moins dans ces lieux africains où la démocratie a incontestablement fait des progrès depuis les années 90. Mais l’entreprise est monumentale, tant l’irresponsabilité a-t-elle eu le temps d’investir auparavant les bureaux des administrations et les interstices de la société tout entière.

Les hommes forts qui ont forgé les Etats africains ont en effet souvent conjugué irresponsabilité individuelle et concentration des pouvoirs… et donc refus du partage des responsabilités. Résultat : les ministres ne sont pas responsables du bon fonctionnement de leurs ministères ; les chefs de service ne sont pas responsables de l’accueil réservé par leurs agents aux usagers et des dessous-de-table qui leur sont réclamés ; les directeurs d’hôpitaux publics ne sont pas responsables des vies perdues tous les jours parce que l’argent a été mangé et parce que les appareils médicaux les plus performants ont été détournés vers les cliniques privées par des médecins publics. Et bien sûr, les directeurs d’aéroport ne sont pas responsables des toilettes sales offertes au public même lorsque des agents sont payés pour l’entretien. Si le discours sur la responsabilité du nouveau président américain pouvait rappeler à quelques décideurs africains qu’il n’était pas encore trop tard pour rebrousser le chemin sans issue de l’irresponsabilité individuelle et collective, le matraquage médiatique « obamaniaque » aura servi à quelque chose.

Diversité

« Nous savons que notre patrimoine bigarré est une force et non une faiblesse ; nous sommes une nation de chrétiens et de musulmans, de juifs, d’hindous et d’athées. Nous sommes façonnés par toutes sortes de langues et de cultures venant de tous les coins du monde. Et, parce que nous avons goûté le brouet amer de la guerre civile et de la ségrégation, et parce que de ce chapitre sombre de notre histoire, nous sommes sortis plus forts et plus unis, nous ne pouvons pas ne pas croire que les vieilles haines cesseront un jour, que les sentiments d’appartenance disparaîtront, que le monde deviendra plus petit, que notre humanité commune va se révéler… ». Dixit Obama le 20 janvier. Nous l’avons déjà souligné : l’émotion des Noirs d’Amérique et d’ailleurs était encore plus palpable que celle réelle de dizaines de millions d’autres personnes à travers le monde. Dans de nombreuses capitales africaines, des jeunes proclamaient dès l’élection du 4 novembre 2008 leur « fierté » de voir un homme d’origine africaine entrer à la Maison Blanche. Tout cela est fort bien. Maintenant qu’on a fini de se réjouir du recul du racisme des autres, peut-être devrions-nous commencer à nous occuper de celui qui sévit dans des dimensions et sous des formes variables dans nombre de pays africains.

Le brouet amer de la guerre civile, de la ségrégation, ou celui de la discrimination ethnique et du tribalisme, l’Afrique l’a aussi expérimenté et continue à en subir les conséquences. Il n’y a pas que les génocides et les massacres interethniques qui soient insupportables. Le sentiment, dans encore trop de pays africains, que les citoyens qui ne partagent pas l’origine ethnique ou régionale du président sont « moins égaux que les autres » l’est également. Le patrimoine bigarré, c’est exactement ce que l’écrasante majorité des pays africains a en commun. Diversité ethnique, diversité des pratiques religieuses, diversité des cultures et des langues. C’est cela l’Afrique et c’est cela chacun des pays africains. Pensez aux mosaïques humaines que sont le Nigeria, le Cameroun, la République démocratique du Congo, le Soudan ou l’Ethiopie mais aussi de plus petits pays comme le Bénin, le Togo, la République centrafricaine ou le Congo Brazzaville. Pourtant, qui se souvient d’avoir été enflammé par le discours d’un responsable politique africain qui ait affirmé haut et fort que la diversité interne de son pays était une exceptionnelle richesse et explicité les moyens institutionnels précis pour faire de cette diversité un facteur de paix et de progrès et non un terreau de violences et de misère ?

L’absence de volonté politique des leaders et l’incapacité collective à gérer avec intelligence et créativité la diversité interne de nos pays africains a été l’un des plus grands échecs de la construction des Etats-nations au lendemain des indépendances. Il ne s’agissait certainement pas d’une tâche aisée. Sur tous les continents, y compris ceux qui ont aujourd’hui tendance à oublier leur longue histoire de violences inouïes, la gestion d’un patrimoine bigarré est un défi permanent. Beaucoup de pays africains ne l’ont manifesté pas relevé et, ce qui est plus inquiétant, ne semblent toujours pas intégrer qu’il n’y a aucun avenir dans le sectarisme, le tribalisme et l’intolérance.

On pourrait être tenté de rétorquer que les « hommes forts » comme Mobutu Sese Seko dans l’ex-Zaïre ou Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire ont su « gérer » la diversité des composantes de leurs nations respectives en préservant une certaine paix pendant trois décennies. On sait ce qu’il advint ensuite dans ces pays, lorsque le couvercle du parti unique, de l’autoritarisme, de la « géopolitique ethnique » à travers la distribution de postes politiques et de prébendes fut soulevé. Ce sont dans des règles, des institutions, des mécanismes d’identification des pratiques de discrimination et de sanction de ceux qui en sont responsables, et dans une véritable éducation au respect de la différence que nous devons rechercher l’apprivoisement de nos patrimoines bigarrés.

C’est parce que nous préférons nous focaliser sur le seul racisme des Blancs et ignorer notre problème avec le traitement de la diversité que nous abandonnons chaque jour un peu plus les décisions nous concernant aux autres. C’est parce que les leaders africains ne proposent rien ou si peu pour extirper les plus graves fléaux de leurs pays que l’hyperactif président français Nicolas Sarkozy a pu par exemple s’autoriser en ce début d’année 2009 à prendre l’initiative de soumettre au gouvernement congolais un plan pour résoudre les tensions et les violences interethniques liées à la question foncière dans le Kivu… Moins on pense, moins on attaque de front nos maux, plus les autres se chargent de penser pour nous et accumulent par la même occasion davantage de connaissances que nous-mêmes sur certaines réalités de nos pays. Ce n’est pas pour rien que l’Afrique est le terrain de prédilection des institutions internationales, des ONG et que l’Union Européenne arrive à produire des plans stratégiques pour l’Afrique plus cohérents que ceux produits par les organisations africaines.

En élisant Barack Obama le 4 novembre dernier, les Américains blancs on « tué » leurs grands-parents. Ils ont en effet rompu avec les générations précédentes qui avaient nourri ou s’étaient accommodées du racisme institutionnel. Avec ceux qui n’auraient sans doute pas servi au restaurant le père kényan et noir d’Obama il y a moins de soixante ans selon les termes utilisés par ce dernier. Ce sont eux qui ont écrit l’histoire. Pendant combien de temps allons-nous continuer en Afrique à accepter de voir notre énergie et notre capacité créative corsetées par un conservatisme éculé ? Pendant combien de temps les jeunes Nigérians continueront-ils par exemple d’accepter que leurs parents leur inculquent les préjugés sur l’ethnie et la religion de l’autre et se priveront-ils de construire un Nigeria nouveau paisible et puissant en alliant les talents des Ibo, des Yorouba, des Haoussa, des Fulani, des Ibibio, des Tiv, des chrétiens, des musulmans, des animistes, des athées ? Idem pour le Cameroun et pour tous les autres pays du continent.

Si nous – les générations africaines actuelles – pensons qu’une autre manière de faire de la politique peut redonner de l’espoir à nos peuples, que nous pouvons nous aussi faire entrer nos pays dans une nouvelle ère de responsabilité et sommes convaincus que le patrimoine bigarré de nos pays est une exceptionnelle force pour le progrès, alors empressons nous de rompre, comme la majorité des Blancs d’Amérique, avec nos grands-parents. Avait-on besoin de convoquer la saga Obama pour faire passer ce message ? Evidemment non. Mais puisque les Africains se sont passionnés pour cette élection américaine et que des présidents africains enthousiastes ont dit avoir veillé devant leurs écrans de télévision dans la nuit du 4 au 5 novembre 2008, eh bien saisissons cette opportunité pour leur demander de prouver leur attachement aux idéaux d’Obama chez eux. Ou de se taire. L’obamania peut être source d’inspiration. Il y a pire comme indigestion.

(Publié sur allafrica.com le 3 février 2009)